Rumeurs nocturnes au camp de base et ambiances de la Puja

Vendredi 21 avril 2023

De retour de l'ascension victorieuse du Lobuche (voir news précédente), nous prenons nos marques au camp de base de l'Everest. C'est une ''vie de camping'' à la fois hyper confortable... Et si particulière, à 5 400 m, au milieu d'un gigantesque glacier ! 

L'aube pointe maintenant son nez avant 5 heures. La nuit tire sa révérence dans des températures avoisinant les -10. On entend les 'Ziiip' des fermetures éclairs des lève-tôts et des pressés de la vessie. Dans les lueurs pâles, on aperçoit le chaos de la cascade de glace où scintillent des guirlandes électriques vacillantes. Ce sont les lumières des frontales des Sherpas qui montent équiper les camps supérieurs. Certaines expéditions sont à pied d'œuvre depuis trois semaines. La route est à présent ouverte jusqu'au Camp 2 à 6 400 m...

Les bruits de la nuit.

“La nuit, depuis ma tente, ce qui me frappe c'est l'ambiance sonore, raconte Maxime. Le glacier qui craque gentiment sous les fesses, le grondement flippant d'un serac qui s'écroule (au loin !), les ronflements des gros dormeurs, la toux sèche d'un voisin... Depuis quelques jours, le camp est pris comme d'une certaine nervosité. Les premières rotations de Sherpas et de grimpeurs vers le Camp 2 ont commencé. J'entends parfois en pleine nuit crisser la neige sous le poids des crampons, grésiller le squelch d'une radio. Les premiers matins à l'Everest, c'est comme les premiers réveils en mer. L'esprit ne sait plus trop où il est. Sortir dans le coton et se prendre la vision du Pumori tout rose deux mille mètres au dessus, c'est irréel.”


Aux sons de la Puja.

Pour ce qui concerne les équipes de Sherpas, pas question de mettre le pied sur la montagne avant une  cérémonie religieuse : la Puja. Les peuples bouddhistes ont pour tradition de célébrer les événements  par ces petites cérémonies hautes en couleurs, en chants, musiques et odeurs. '' Depuis ce matin, tout le camp est agité, observe Maxime avec amusement. Ce sont les préparatifs de la Puja. Les plus costauds ont bâti en quelques heures un impressionnant autel de pierres. Ils ont même taillé un bloc de granit blanc pour boucher les trous. Un grand mât métallique (quels effort d'avoir monté ça ici !) y est dressé, destiné à recevoir les drapeaux de prières multicolores. Ça donne tout de suite un air de fête à notre campement entièrement de toile, de glace et de roc.''

Un gras Lama en robe rouge carmin est arrivé. Tout le monde lui donne de la courbette et du Namasté en veux tu en voilà. L'ambiance est à la fois grave et joyeuse. À la cuisine aussi on s'affaire. Korma le chef prépare des petites sculptures de farine de tsampa (orge grillé) et de beurre frais. On apporte sur l'autel des plateaux débordants de friandises, beignets, biscuits cuisinés spécialement pour l'occasion. Tout autour, on dispose des boissons, sodas, bière, liqueur... Bref, tout ce qu'il faut pour donner un air de fête et d'abondance. C'est que le Lama va s'adresser directement à Chomolungma, la très haute déesse et qu'il faut s'attirer ses bonnes grâces ! 

Trois petits bouchons de gnôle (bénite).

''Guillaume nous explique qu'il y a un siècle lorsque, pour les premières fois, les colons britanniques ont voulu gravir l'Everest, les populations locales ont catégoriquement refusé de les y aider. Les cimes étaient en effet la demeure de leurs dieux fétiches et terribles. Hors de question de les courroucer en entrant chez eux sans frapper. Les cérémonies de Puja - ainsi qu'une bonne paye - furent le meilleur compromis trouvé pour satisfaire les cultes et éloigner les peurs.''

Aujourd'hui, la tradition est fermement respectée. Nous mêmes occidentaux sommes priés de prier. Nous amenons à l'autel nos piolets, casques, cordes, crampons afin qu'ils soient bénis et que la déesse daigne en recevoir, sans fâcherie, les piqûres sur ses flancs. ''La cérémonie, poursuit Max, est plutôt dynamique et joyeuse. Dans l'odeur âcre des fumées de genévrier, le lama chante des psaumes sourds, fait sonner ses cymbales.

Soudain, il se lève, nous tend des poignées de riz que nous lançons en criant, tous ensemble, vers l'Everest. Pour finir, dans la grande tradition sherpa où se mêlent  sacré sérieux et joyeux profane, nous buvons à tour de rôle et cul sec trois petits bouchons de gnôle (bénite).''

Le festin de la déesse aux corneilles.

En titubant un peu (on déconseille le mélange altitude et alcool fort), nous retournons à nos occupations. Dégager la neige de la nuit devant la tente, discuter du menu du midi avec Korma le Cook, faire une petite lessive dans une bassine d'eau bouillante puis prendre une douche dans un sceau d'eau tout aussi bouillante. Faut ce qu'il faut quand il fait moins cinq au soleil. Rhaaa que c'est bon de se récurer la peau après avoir accumulé quelques jours de crasse au Lobuche ! Relever le bulletin météo de notre routeur chamoniard et en discuter mais pas trop...

''Demain, le programme est chargé, annonce Max : départ matinal pour le glacier qui est très éloigné de trente mètres de ma tente afin de m'exercer à ce qui nous attend dans l'Ice fall. Montée de séracs au jumar, descente en rappel et surtout surtout traversées d'échelles suspendues, ma grande crainte.''

Pendant ce temps, sur la place de la Puja, désertée et chauffée au soleil, des corneilles à bec jaune se disputent les restes du festin de la déesse.

© Récit : Guillaume Vallot - Photos : Guillaume Vallot - Ubac Média - droits réservés

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Entraînement au chaos de l'Ice Fall