Trouver le bon rythme dans l’Icefall…

Vendredi 28 avril 2023

Aujourd'hui est un grand jour, nous avons rendez-vous avec la reine des glaces. Coup de pot, elle nous a tous inscrit sur son carnet de bal. Alors on se fait beau, on met ses jolis escarpins qui arrivent jusqu'aux genoux et c'est parti pour une folle matinée dans le palais bleu.

La cascade de glace, on ne revient pas dessus. Celles ou ceux qui n'ont pas lu l'avant-dernière news ''Entrainement au chaos de l'Ice Fall'', retournent faire leurs devoirs.

En mode rétroplanning.

'' Depuis nos tentes, il faut compter une petite heure pour attaquer le tout premier mur, le tout premier sérac équipé de cordes, raconte Maxime. Notre chef Sherpa nous accompagne. Ça me rassure d'être avec un type qui a passé une partie de sa vie dans ce drôle d'endroit.

Avec la cascade de glace du Khumbu, j'ai cru comprendre qu'il valait mieux fonctionner en mode rétroplanning. On fixe une heure où on ne veut plus y être (la chaleur du soleil favoriserait la chute des blocs) et, à partir de là, on estime l'heure à laquelle on doit rentrer dedans et celle à laquelle on doit en sortir. C'est un peu comme un train fantôme sauf que là, c'est toi qui dirige le chariot.''

Cette année, nous explique Ningma, la cascade de glace est assez facile techniquement. Il n'y a pas beaucoup de murs très raides à escalader, ni de très grandes crevasses larges à franchir... En revanche, elle zigzague beaucoup, elle est très longue. Pour notre matinée de découverte, nous avons donc décidé d'y entrer à 7 heures et d'en être ressortis à 10h, dernier carat.

Chatouiller le monstre.

''Pendant l'approche, on a le temps de la voir grossir, poursuit Max. La première fois, c'est impressionnant, on a l'impression d'aller chatouiller un monstre endormi. Nous ajustons nos crampons à nos grosses chaussures et c'est parti sans crier gare avec un mur raide équipé de trois cordes fixes. ''Laquelle je choisis ?'', je crie à Ningma et Guillaume qui, évidemment, pour mon baptême, me laissent gentiment passer le premier. ''Celle qui est en meilleur état !'' me répondent-t-ils en cœur. Voilà un premier excellent conseil. Toutes les cordes fixes ne se valent pas et certaines, déjà très usées, restent pourtant en place. Il faut donc garder l'œil sur l'état de la corde et, si possible, sur l'état de l'ancrage supérieur, si tant est qu'on puisse le voir. J'enregistre ''corde récente = ancrage récent'' et puis zou, à un moment, il faut y aller. Le cœur monte en flèche. Rien n'est facile à 5 400 mètres, même faire ses lacets, alors imagine gravir un mur vertical. À la sortie, à la recherche d'air, je regarde la suite. Le fils d'Ariane semble s'étirer sur des kilomètres dans un labyrinthe sans fin, tantôt de monticules, tantôt de trous béants. Pour celles et ceux qui en ont déjà fait, ça ressemblerait à une interminable via ferrata au milieu d'un chaos de glace.

Trouver un rythme.

Bon, pas d'affolement, je me dis. On va prendre les obstacles les uns après les autres. Guillaume, juste derrière, me distyle ses conseils : ''Max, malgré les inégalités du terrain, malgré les gens qui descendent, que tu croises, malgré les gens que tu rattrapes et doubles, essaye de trouver un rythme dans ton déplacement''. Un rythme ? Il en a de bonnes, l'ancien ! Ici, ça ressemble plus à Verdun qu'aux Champs-Élysées et maintenant, il faudrait y grimper en cadence !''

Allez, on enchaine. Contourner un bloc en équilibre gros comme une camionnette, sauter une crevasse, longer une falaise... Le tout sans trop regarder le vide, ni s'extasier du spectacle qui, partout, à chaque instant, est absolument fascinant. ''Heureusement que, ce matin, nous sommes là pour découvrir et faire des images. Tandis que Julien cale son trépied ou envoie son drone, j'en profite pour mater sans risque. En montant, nous nous sommes engagés entre les parois du Nuptse et de l'Épaule ouest de l'Everest qui nous dominent à présent de 2 000 mètres.

Tout ça me fais un peu penser aux 50 ièmes Hurlant lors de mon premier vendée-globe : un endroit à la réputation aussi sinistre qu'à la puissance sauvage.''

Déjà le soleil donne et déjà la neige commence à fondre. Il nous faut nous enfuir. Sans demander notre reste, nous disons adieu à la toxique beauté de l'Ice Fall. Au revoir, sorcière des glaces. Nous nous reverrons (très) bientôt.

© Récit et Photos : Guillaume Vallot - droits réservés

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🇬🇧 ENGLISH VERSION

Friday, April 28th, 2023

Today is a big day, we have an appointment with the Ice Queen. Lucky for us, she has put us all on her guest list. So let's dress up, put on our pretty knee-high boots, and let's go for a crazy morning in the blue palace.

The icefall, we won't go over it again. Those who haven't read the second-to-last news "Training for the Chaos of the Ice Fall" should go do their homework.

In retro-planning mode.

"From our tents, it takes about an hour to attack the very first wall, the very first serac equipped with ropes," Maxime says. "Our Sherpa leader is with us. It reassures me to be with someone who has spent part of his life in this strange place.

With the Khumbu icefall, I understood that it was better to operate in retro-planning mode. We set a time when we don't want to be there anymore (the heat of the sun would promote the fall of blocks), and from there, we estimate the time we should enter and the time we should exit. It's a bit like a haunted train ride, except you're the one driving the cart."

This year, Ningma explains, the icefall is fairly easy technically. There aren't many very steep walls to climb or very large crevasses to cross... However, it zigzags a lot and is very long. So for our morning of discovery, we decided to enter at 7 a.m. and be out by 10 a.m., at the latest.

Tickling the monster.

"During the approach, we have time to see it grow," Max continues. "The first time is impressive, it feels like we're tickling a sleeping monster. We adjust our crampons to our big boots and off we go without warning, with a steep wall equipped with three fixed ropes. 'Which one do I choose?' I shout to Ningma and Guillaume who, of course, for my baptism, kindly let me go first. 'The one that's in better condition!' they reply in unison. That's an excellent first piece of advice. Not all fixed ropes are created equal, and some, already very worn, remain in place. So you have to keep an eye on the condition of the rope and, if possible, on the condition of the upper anchor, if you can see it. I register 'recent rope = recent anchor' and then, at some point, you have to go for it. My heart races. Nothing is easy at 5,400 meters, even tying your shoes, so imagine climbing a vertical wall. At the top, gasping for air, I look at what's ahead. The thread of Ariadne seems to stretch out for kilometers in an endless maze, sometimes of mounds, sometimes of gaping holes. For those who have done it before, it would be like an endless via ferrata in the midst of an ice chaos."

Finding a rhythm.

Okay, no need to panic, I tell myself. We'll take the obstacles one by one. Guillaume, just behind me, offers his advice: "Max, despite the uneven terrain, despite the people coming down that you cross, despite the people you catch up to and pass, try to find a rhythm in your movement." A rhythm? The nerve of this guy! This is more like Verdun than the Champs-Élysées, and now he wants me to climb it in time!

Let's go, let's keep moving. Skirt around a boulder the size of a van, jump a crevasse, hug a cliff... all without looking too much at the void or getting too distracted by the breathtaking scenery that is absolutely captivating everywhere, at every moment. "Luckily, this morning, we're here to explore and take pictures. While Julien sets up his tripod or sends out his drone, I take advantage to look around without risk. As we ascend, we find ourselves sandwiched between the walls of the Nuptse and the West Shoulder of Everest, which now tower over us by 2,000 meters."

All of this reminds me a little of the Furious Fifties during my first Vendée Globe: a place with a reputation as sinister as its wild power.

The sun is already rising and the snow is already starting to melt. We need to get out of here. Without looking back, we bid farewell to the toxic beauty of the Ice Fall. Goodbye, ice witch. We will see each other again (very) soon.

© Text and photos : Guillaume Vallot - rights reserved

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