Ground control from Major Chris

Nuit noire. Mal assis (oui, c’est toujours aussi dur le carbone… et franchement, j’ai mal au c**). À mon poste de routage / pilotage / boustifaillage depuis quelques heures. Souris dans la main droite. Télécommande de pilote dans la gauche. Écoute de voile à portée. Prêt à choquer en cas de sortie de route. 

Cela fait déjà trois jours que nous enchaînons les bords dans un alizé modéré, mais assez soutenu toutefois pour rendre la vie à bord bien complexe. Il est difficile de tenir debout. La position assise n’est pas simple non plus. Le mieux est encore de rester allongé… 

Bien que je ne sois, suis jamais monté dans une navette spatiale, j’imagine que ça doit y ressembler. Ça me rappelle ce film culte l’étoffe des héros lors duquel les stars de la US FORCE se faisaient branler dans les premières capsules satellites. Franchement, on reassemble à ça. Ni plus. Ni moins.

Juste avant notre avarie de hook, Max proposait d’instaurer une règle : un arrêt de 15 minutes toutes les douze heures juste pour respirer, prendre l’air, humer l’odeur de la mer, voir le soleil. Vœu exaucé. Nos espoirs de tableau d’honneur envolés… comme quoi il faut être vigilant quand on demande ! 

L’avarie en question - une voile est tombée à l’eau et nous avons galéré deux heures pour la ramener à bord et repartir - nous a coûté notre voile fétiche, quelques bleus et des litres de sueur… 

Mais comment en est-on arrivé là ?

Je veux dire à vivre comme des animaux reclus dans leur grotte, enfermés, secoués… 

C’est insensé quand on y pense deux minutes ! 

Au départ, je fais de la voile pour être en mer, pour être en contact avec les éléments, pour être dans la nature… Tout ceci n’est plus. Je suis un pilote de navette spatiale qui ne voit pas où cette dernière est projetée à part au travers de son écran de contrôle. 

Ground control from Major Chris : let us out ! 

Encore une fois je ne me plains pas. Je me dis la chance inouïe de vivre ce tournant tout à fait unique de notre sport. Nous apprenons à voler sur l’eau, c’est plus qu’une évolution. C’est une révolution. La courbe de progression des performances de nos IMOCA ces dernières années est simplement incroyable. C’est juste pas simple pour nous navigateurs, d'appréhender ces nouveaux modes de navigation. C’est le prix à payer pour découvrir l’étape d’après. 

Sûrement que les pilotes à la Saint-Exupery, écharpe autour du cou, lunettes rondes et casque en cuir ont dû râler aussi de se retrouver dans un cockpit fermé. C’était pourtant la logique de l’évolution de l’aviation. 

Reste à minima à se poser la question : peut-on tout sacrifier sur l’autel de la performance ? Vous avez 4 heures !

De notre côté : encore trois jours à charbonner dans notre capsule et nous pourrons sortir nos museaux et admirer la Martinique qui se dressera devant nous.

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