Ivresse à 5000m autour de Dingboche

Jeudi 13 avril 2023

Journée d’acclimatation

Un paysage démoniaque.

''Le paysage n'est jamais drôle mais parfois il semble ivre'' écrit Sylvain Tesson dans ses Chemins Noirs, à propos des replis calcaires de la Provence. Ici au village de Dingboche, sur la route du camp de base de l'Everest, le paysage ne fait pas rire non plus. Au cœur de l'Himalaya, il semble pris de la folie des grandeurs, de l'ivresse des hauteurs, de la mégalomanie des architectures démoniaques. Au petit matin frisquet (il gèle dans les bassines) de ce deuxième jour dit ''de repos'', c'est la face sud du Lhotse, 8 516 m qui nous saluent bien haut. ''Des milliers de mètres de granites verticaux et de glaciers suspendus sont un spectacle nouveau pour moi, confesse Maxime. Ces pics vertigineux me semblent totalement inaccessibles. J'ai du mal à croire les récits que nous fait notre chef d'expé de ces alpinistes, notamment français, qui ont ouvert des voies dans ces parois ! La somme d'expérience, de compétences et de courage pour y évoluer en contrôle est admirable. Je saisis mieux l'incompréhension des terriens qui me voient partir essuyer en solo les colères océaniques sur mon foiler.''

Objectif 5 000 !

Après un petit déjeuner tardif, composé de müesli, d'omelette ou de riz blanc arrosé de miel de l'Himalaya (pour celui qui a chopé la tourista), nous nous mettons joyeusement en route. Notre objectif est bien modeste - un perchoir situé à 700 mètres juste au-dessus du village. Mais il va nous permettre de franchir sans pression la barre symbolique des 5 000 m. 

''Cette arête panoramique est idéale pour l'exercice. Elle commence doucement puis se raidit vers 4 800 m pour venir buter à 5 100 sur une section rocheuse devenue infranchissable sans corde ni matos d'escalade. Nous n'étions pas les seuls à y profiter d'une météo parfaite. Guillaume eut beau me rappeler que, pour doubler, il ne faut pas accélérer, je suis monté très vite. Trop vite ? Mon altimètre atteignait par moments les 900 m/h.''

Tandis que Maxime s'enivre de sa formidable condition physique, le commun des marcheurs ou les plus sages des Sherpas, le rejoignent tranquillement au culmen pour un selfie échevelé. Pour la plus grande joie des drapeaux de prières, les vents thermiques prennent ici une puissance à l'échelle des reliefs : himalayenne. 

''À la descente, reprend Maxime, j'étais carrément euphorique et j'ai tout dévalé en courant.''

La vie de lodge.

De retour à notre confortable auberge, un copieux déjeuner nous attend. La carte est variée. Elle tente de proposer des plats occidentaux avec des produits locaux. Pizza, rösti, spaghetti, ravioli népalais le momo, riz déclinés de bien des manières dont le plat national dal bhat qui signifie ''riz et lentilles''... Sans oublier l'inévitable ''garlic soup'' que notre guide sherpa considère pratiquement comme une prescription médicale. ''Un des régals toujours renouvelés, c'est la frite fraîche avec les patates des jardins, un des rares légumes à pousser à ces altitudes. J'hésite entre beaucoup manger pour pallier l'inévitable fonte musculaire et ne pas m'infliger des épreuves digestives regrettables. À ce propos, je crois que Guillaume et moi sommes un peu passés ces jours-ci du côté obscur... (rire)''

L'après-midi est encore longue. L'insomniaque file à la sieste. Julien, notre infatigable cameraman, s'enferme pour sauvegarder de précieux rushes. Quant au reste de la troupe, elle a initié nos Sherpas aux sorcelleries du Uno et ce sont de grandes parties de cartes et d'éclats de rires (celui de Perrine en particulier a la vertue de traverser les murs). ''Ça fait des mois, des années peut-être, que je n'avais pas été ainsi, loin du monde, sans réseau téléphonique, savoure notre marin. Même en course, même dans le grand Sud, on reste toujours joignable, connecté. Il ne passe pas 24h sans qu'on te sollicite trois fois. J'avoue que la montagne, pour ça, c'est un vrai pied.''

Après un petit tour dans un tripot digne de la scène introductive de Indiana Jones et l'Arche perdue, l'équipe se couche heureuse et anxieuse. Heureuse de cette formidable journée d'Himalaya. Anxieuse du lendemain car, oui, demain, il ne s'agira déjà plus de passer à 5 000... Mais d'y dormir !

© Récit : Guillaume Vallot - Photos : Guillaume Vallot - Jérémy Sorel - droit réservés

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